L’Institut national des commissaires de justice ouvre ses portes

Plus de 400 personnes ont intégré le monde virtuel de l’audience de rentrée et de la journée « portes ouvertes » de l’Institut national des commissaires de justice (INCJ), le 17 mars dernier, au cours de laquelle les prises de parole se sont succédé, après l’introduction du directeur des Affaires civiles et du Sceau, Jean-François de Montgolfier. Les propos se sont concentrés sur l’Institut chargé de la formation des commissaires de justice qui verra sortir sa première classe, après un examen de fin de parcours, en 2023.

Les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, très anciennes, fusionnent peu à peu. Dans cette optique, l’Institut national des commissaires de justice (INCJ) ouvre un cursus tourné vers la modernité, adapté aux enjeux contemporains. Avec la formation dispensée, la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) renouvelle le dispositif pédagogique qui accompagnait le stage de deux ans requis pour pouvoir présenter l’examen professionnel d’huissier de justice, ainsi que le parcours de formation pour devenir commissaire-priseur judiciaire. Toujours fondés sur l’alternance entre la présence dans les offices et des journées de cours, la philosophie et les contenus pédagogiques ont profondément évolué. L’ambition de l’Institut national des commissaires de justice est de donner à ses étudiants tous les outils pour développer les qualités permettant d’exercer ce métier prenant et exigeant. L’INCJ, creuset de la profession, en deviendra le socle. Il a aussi vocation à apprendre aux professionnels déjà en activité les spécialités dont ils ne sont pas instruits. Les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires peuvent suivre ces formations complémentaires afin de devenir commissaires de justice à part entière, lorsqu’ils seront réunis en une profession unique. Nombre d’entre eux ont déjà mis à profit le confinement pour assimiler les cours nécessaires et se préparer à cette échéance. Le directeur des Affaires civiles et du Sceau a formulé ses vœux de succès aux commissaires de justice en devenir. « L’Institut deviendra le port d’attache de la profession, sa demeure où, comme une maison de famille, chacun vient régulièrement se ressourcer, se renforcer, se former. Chacun viendra y asseoir et y perfectionner ses connaissances, pour exercer l’activité d’officier public et ministériel avec toute l’exigence et toutes les compétences requises. Il forgera l’identité, l’ADN des commissaires de justice qui marquera de son empreinte les carrières professionnelles. »

Au cours des deux années de formation, les « commissaires de justice stagiaires » alterneront entre journées de formation, en classe virtuelle ou présentielle (pour certains modules de formation), le tout encadré par un dispositif d’apprentissage à distance. Aux modules de formation obligatoires fixés par arrêtés s’ajouteront des séminaires sur des matières d’actualité, d’ouverture, ou plus généralement consacrés aux soft skills (compétences non techniques). L’objectif de l’INCJ est de préserver la présence de stagiaires partout en France, tout en leur assurant une qualité pédagogique homogène. Par ailleurs, pour la partie pratique, les élèves seront encadrés par un dispositif de tutorat, assuré par leurs maîtres de stage.

Bienvenue

Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des Commissaires de justice, a déploré ne pas pouvoir accueillir les nouveaux arrivants autrement que par vidéo interposée. Malgré tout, heureux d’inaugurer l’Institut, il a salué l’effort des acteurs de ce « chantier titanesque » entamé en 2019, surpervisé par Christine Valès et Philippe Lannon. La filière créée entend répondre aux deux mots d’ordre fixés à l’origine : rigueur et excellence. Concernant le recrutement, les instances ont décidé que seuls les titulaires d’un master 2 en droit pourraient concourir à l’examen. Les cursus ont été pensés dans le même esprit de qualité. Le métier est confronté à un monde en mutation qui le place face à des concurrents issus d’autres activités économiques. En conséquence, il convient de savoir se défendre et faire valoir ses aptitudes da ns le champ de la preuve, de la signification, de l’exécution et de la vente judiciaire. Ces matières constituent un domaine d’expertise propre que la promotion admise à l’INCJ va devoir acquérir.

L’Institut commence une épopée, celle de la formation de générations de commissaires de justice. S’adressant aux admis, Patrick Sannino prévient : « les premiers d’entre eux, les bienheureux sélectionnés, vont devoir essuyer les plâtres », avant de confier : « je ne peux m’empêcher de sourire en repensant au jour où j’ai moi-même été admis à l’examen. […] à cette époque, j’avais le sentiment de vraiment débuter ma carrière. J’étais tout à la fois heureux, excité, et aussi un peu anxieux à l’idée d’intégrer cette profession. »

Les étudiants admis vont apprendre au cours des deux prochaines années, non plus de façon théorique, mais de façon pratique, au contact des professionnels et des justiciables. C’est un point fondamental, car même revisitées pour la naissance du statut unifié, les missions restent avant tout des missions de terrain. L’activité, singulièrement riche, se tient « au carrefour de l’infiniment grand du droit civil, des magistrats, de la justice et de l’infiniment petit des problématiques quotidiennes des gens, parfois des accidents de la vie ». Elle joue un rôle social, celui de servir la justice et de rendre le droit effectif.

Agnès Carlier, vice-présidente de la Chambre nationale des commissaires de justice, s’est également exprimée. Elle voit dans la première promotion de l’INCJ le futur visage de la profession, la réunion des deux précédentes qui, jusque-là, évoluaient parallèlement. La génération montante, ni commissaire-priseur judiciaire, ni huissier de justice, incarnera le changement. Elle fera vivre le nouveau métier et lui donnera un lustre différent. « Je sais qu’au sein de l’Institut vous recevrez les enseignements complémentaires et nécessaires faisant de vous des juristes spécialisés et des professionnels de haute volée. L’éventail de vos activités sera plus large que celui que nous avons connu dans nos métiers, de l’exécution à la vente judiciaire, en passant par la signification, la preuve, ou l’expertise. Cette nouvelle profession sera incontournable dans le monde du droit. Elle sera d’autant plus incontournable qu’elle est singulière. C’est la seule profession juridique qui s’exerce sur le terrain et non pas seulement derrière un bureau. » Le contact direct avec les justiciables donne la mesure de la responsabilité dévolue aux commissaires de justice, légataires, en quelque sorte, de cet héritage issu des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.

Les examens et l’enseignement

Sylvie Maunand, conseillère à la Cour de cassation, présidente du jury d’accès à la formation, a formulé ses observations sur la première session tenue en décembre pour les épreuves écrites, et en février pour les épreuves orales. Peu de candidats ont été reçus. L’examen actuel est différent du précédent qui intervenait en fin de stage et évaluait les connaissances acquises au cours de celui-ci. Aujourd’hui, les épreuves d’accès à la formation professionnelle sont organisées en amont du stage et valident les connaissances assimilées au cours des études antérieures. Elles établissent un contrôle des acquis des étudiants au cours de leur licence ou de leur master. Les membres du jury interrogent sur le droit civil et les procédures civiles/voies d’exécution sous forme de cas pratiques. Le principe adopté est que les bases juridiques fondamentales pour l’exercice de la profession doivent s’appliquer à des situations concrètes. Les examens, tant en droit civil qu’en procédure, balayent toutes les questions du programme en deux ou trois exercices par matière. Le jury se montre très exigeant pour l’épreuve de procédure civile/voies d’exécution qui a d’ailleurs le coefficient le plus élevé, ces matières étant essentielles à l’activité. Comprendre parfaitement ces domaines est vital. En effet, les postulants seront amenés à délivrer des actes, à faire des procédures de voies d’exécution. En cas de méconnaissance des textes ou de rédaction d’acte incorrecte, peut survenir la nullité de ce dernier, voire l’anéantissement de la procédure de voies d’exécution. C’est un préjudice à proscrire pour la partie poursuivante et pour le client. Le jury contrôle les connaissances à l’écrit et à l’oral, en particulier pour l’anglais (obligatoire) et une autre langue étrangère. Cela se passe avec un interlocuteur sous la forme d’un échange au cours duquel il faut se présenter et rebondir en fonction des thèmes évoqués. Une autre des épreuves consiste en un exposé sur une question de société, de culture générale ou judiciaire, car le commissaire de justice n’est pas exclusivement un professionnel qui maîtrise des techniques juridiques, il exerce au sein de la société où il rencontre des interlocuteurs. Il leur délivre ses actes en faisant preuve d’humanité. Il ne peut donc pas méconnaître l’environnement dans lequel il agit ; d’où l’intérêt de ce contrôle de culture générale. La présidente du jury précise que, quelle que soit la profession judiciaire exercée, avocat, magistrat, commissaire de justice, l’ouverture d’esprit sur le monde est indispensable. « Il faut être curieux intellectuellement. Vous ne vivez pas dans un aquarium, si je puis dire. Vous êtes dans la société et il faut que vous en compreniez le fonctionnement, que vous ayez conscience des mouvements sociaux, de ce qui se pense, de ce qui se passe autour de vous. » Les sujets abordés sont très variés. Il peut s’agir par exemple du Défenseur des droits, du Conseil économique, social et environnemental, des nouvelles technologies, de la religion, de la gestation pour autrui, de l’euthanasie,… bref, tout type de domaine soulevant des interrogations, source de débats. Le jury, assez déçu par la prestation de certains candidats au cours de cet oral, invite ceux qui se préparent pour 2022 à beaucoup lire, à se documenter sur l’histoire, l’économie, la littérature, etc.

C’est la loi pour la croissance et l’activité qui a entraîné le rapprochement progressif des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, rappelle Philippe Lannon, membre de la CNCJ, chargé de la formation (section commissaires-priseurs judiciaires). Il indique que la presque totalité des professionnels déjà en fonction a suivi une formation passerelle, c’est-à-dire, à la particularité de l’activité de commissaire-priseur judiciaire, pour les huissiers de justice, et à celle d’huissier de justice, pour les commissaires-priseurs judiciaires. Les admis en 2021 vont recevoir la formation initiale de l’INCJ qui dure deux années, durée classique pour une profession réglementée du droit. Les organisateurs souhaitent que s’établisse un lien fort entre l’Institut national des commissaires de justice et ses élèves. L’enseignement programmé entend construire des praticiens accomplis, à même de tout faire. Il s’agit d’un métier de service public et de missions parfois délicates à opérer. Sur le papier, dans les codes, sont prévues beaucoup de situations, néanmoins se présentent toujours des cas qui n’ont pas été imaginés. C’est là où la formation concrète, ses six modules (plus un de perfectionnement en art) prennent leur importance. Pour Philippe Lannon, le commissaire de justice diplômé, fort de son stage et de tous les apprentissages de l’INCJ, une fois seul ou associé dans une étude, dessinera son propre fonctionnement dans sa ville, sa zone géographique. Car dans ce métier, avec un même périmètre d’attribution, un même cadre, chacun s’épanouira en épousant sa région selon son gré, pratiquant un peu plus de ceci ou de cela. Chacun agira selon son appétence, ses savoirs, ses expériences. De même, la valeur ajoutée, le niveau de maîtrise dans tel ou tel domaine orienteront les carrières vers certaines tâches plutôt que d’autres. Toujours diligent avec les demandes des juridictions, le commissaire de justice n’en demeurera pas moins un professionnel libéral cumulant les impératifs d’un dirigeant en gestion de personnel, gestion sociale, gestion des affaires courantes, et surtout en gestion financière. Chef d’entreprise obéissant à un statut réglementé du droit, praticien libéral, il disposera de tous les ingrédients pour profiter d’une belle fonction. Philippe Lannon l’affirme : « ce sont les jeunes que vous êtes qui feront le métier, ce ne sera pas moi, ce ne sont pas mes homologues qui ont 30 ou 35 ans de métier, ce ne sont pas les anciens qui feront le nouveau métier, c’est vous ! Nous nous sommes des accompagnants ». Passer de la théorie à la pratique sera sans doute semé d’embûches pour cette première promotion, mais sera également à l’origine de formidables satisfactions.

Christine Valès, membre de la CNCJ, chargée de la Formation (section huissiers de justice) a par la suite expliqué aux candidats admis la vie qui les attendait pendant les deux années qui s’annoncent. Leur passage à l’Institut leur permettra de devenir commissaire de justice, capable de tout faire, officier public et ministériel, compétent sur les matières de signification, d’exécution, de vente judiciaire, de représentation à l’audience, de recouvrement amiable, de recouvrement forcé. L’aventure est inédite. Les élèves reçus en 2021?vont tout apprendre pour pouvoir tout faire. « Moi, explique Christine Valès, je pouvais tout faire, mais je n’ai pas tout appris. Alors j’ai découvert au fur et à mesure les matières et je me suis formée. Mais, voyez, sur l’univers des ventes, et pourtant dieu sait si j’aurais aimé aller sur le parcours de commissaire-priseur, je n’ai pas pu, parce que j’étais dans une grande ville et que l’exercice de cette fonction ne m’a pas été possible. Vous, vous allez pouvoir tout faire, et ça, c’est remarquable. »

Les deux années à venir sont donc consacrées à l’apprentissage du nouveau métier qui soude ceux qui étaient auparavant distincts. Le cycle allie à la fois la pratique sous l’égide d’un tuteur et l’assimilation des concepts théoriques. Les étudiants mettront en application immédiatement les points étudiés, et réciproquement, ils pourront demander sans délai aux enseignants des éclaircissements sur les expériences rencontrées sur le terrain. L’équipe d’encadrement, très impliquée, aidera au mieux chaque élève à tracer sa voie et relèvera les éléments de la formation à améliorer pour les sessions suivantes. La suite en 2023…

Source : https://www.jss.fr/L%E2%80%99Institut_national_des_commissaires_de_justice_ouvre_ses_portes__-2408.awp