Bruit, travaux… faites appel à un conciliateur pour régler vos problèmes de voisinage

Bruit, vue obstruée… Les sujets de tension entre riverains sont légion. Une palette de recours permet de se faire entendre avant que le quotidien vire au cauchemar.

C’est une nouvelle pomme de discorde entre voisins : les locations Airbnb. Va-et-vient de touristes incessants, ballets de valises sur les pavés, fêtes à répétition… les nuisances associées à ces locations de courte durée sont telles que des habitants créent désormais des collectifs de résistance, de Val d’Europe (77) à Saint-Malo. « Les dossiers se multiplient, confirme Romain Rossi-Landi, avocat. Des recours existent, mais il faut se préparer à des procédures assez longues. »

Voilà qui ne va pas améliorer des relations de palier déjà bien compliquées : plus de 80% des Français auraient connu des conflits avec leurs voisins. Bruit, limite de propriété, animaux gênants… les sujets sont légion ! Le problème est tel que, pour désengorger les tribunaux, l’Etat vient de rendre obligatoire une tentative de médiation avant toute action en justice. Dans l’ordre, en cas de litige, vous devez essayer de trouver une solution à l’amiable, puis saisir un des 2.600 conciliateurs répartis sur le territoire français. « J’incite fortement mes clients à convenir d’un accord, appuie Jean-Philippe Mariani, avocat en droit de l’immobilier.

Sinon, il faut en passer par une procédure judiciaire souvent coûteuse… » Et assez incertaine. La victoire repose généralement sur la reconnaissance d’un « trouble anormal du voisinage », notion assez floue que le juge apprécie au cas par cas. Pour avoir gain de cause, il s’agit alors de multiplier les preuves solides (témoignages d’autres riverains, relevés d’huissier, expertises…) et de s’armer de patience. Capital a recueilli les témoignages de voisins remontés qui ont réussi à remporter leur bataille, à l’amiable ou au tribunal. Voici leurs méthodes.

Mon voisin veut faire abattre mes animaux

Dominique Douthe a d’abord eu un peu de mal à y croire. Depuis quarante ans, cette septuagénaire élève des oies et des canards sur ses terres landaises, un loisir qui lui tient à cœur. « Cela n’a jamais posé problème », précise-t-elle. Mais voilà, en juillet 2018, un nouveau voisin s’installe de l’autre côté de la route et commence à lui reprocher le bruit de ses volatiles. Le ton monte progressivement. « Au départ, il venait simplement discuter et remettre le sujet sur le tapis », raconte notre éleveuse amateur. Mais arrivent ensuite plusieurs courriers. Et un an plus tard, surprise, un huissier se présente, une assignation à la main : le voisin demande l’abattage des canards.

Bien décidée à sauver la tête de ses palmipèdes, la retraitée saisit alors un avocat qui trouvera les arguments. « J’ai d’abord plaidé l’acceptation des risques », explique maître Philippe Lalanne. Selon lui, le plaignant habitait à 15 kilomètres avant de s’installer près de chez sa cliente, il ne pouvait ignorer l’existence de cet élevage. « Puis j’ai réfuté l’anormalité du trouble, reprend l’homme de loi. Des bruits de canards sont normaux dans les Landes. » Efficace : les oiseaux ont finalement eu la vie sauve. Mais le voisin (qui n’a pas souhaité nous répondre) a entamé une nouvelle procédure… cette fois contre les oies.

Une haie empiète sur mon terrain

L’affaire aura été rondement menée. En mai dernier, Lionel Hostein, habitant girondin, s’impatiente de ne pas voir son voisin tailler sa haie. La végétation atteint 3 mètres de haut, empiète sur sa propriété et laisse même des ronces dépasser. Une cause de discorde fréquente entre riverains, mais lui n’a pas voulu se laisser faire. Urbain, cet agent immobilier commence par demander gentiment à son voisin d’intervenir. « Mais ce dernier refuse, sous prétexte que la mairie lui conseillait d’attendre l’automne », fait-il savoir.

Après vérification auprès des services municipaux, notre homme lui indique, par écrit cette fois, que le sécateur peut être sorti dès le printemps. Pas de réaction. Lionel saisit alors le conciliateur de justice, une bonne initiative. L’expert enquête rapidement, examine les photos des lieux puis envoie un courrier recommandé rappelant au jardinier ses devoirs : selon les articles 671 et 673 du Code civil, il se doit de tailler une haie située sur sa propriété à moins de 50 centimètres de celle de M. Hostein. Histoire réglée. « Si une situation similaire vous arrive, il ne faut surtout pas tailler vous-même, prévient Patrick Tronche, conciliateur sur ce dossier. Votre voisin pourrait se retourner contre vous pour atteinte à ses biens. »

Je ne peux plus rentrer chez moi en voiture

Durant trente ans, pour accéder en voiture à son domicile, Anne-Marie Bouvet Gauthier a emprunté un petit chemin situé sur le terrain de son voisin, sans que cela pose de difficulté. Mais, à l’été 2016, un arbre tombe sur le sentier. La septuagénaire demande au riverain de le dégager. C’est le début des hostilités. « Il a refusé, arguant que je n’avais pas de droit de passage sur sa propriété, se désole la retraitée. Je me suis fait aider par des proches pour lever moi-même l’obstacle mais, quelques jours plus tard, une grille barrait le chemin. » Convaincue d’être dans son bon droit – la servitude serait mentionnée dans l’acte d’achat de sa maison –, elle en appelle alors à la justice.

« Dans ce genre d’affaire, bloquée, il faut saisir le juge des référés et faire venir un huissier pour constater les infractions », recommande son avocate, maître Audrey Berneron. Après moult rebondissements – la grille a fait place à divers obstacles, tractopelle ou rondins de bois –, la plaignante a obtenu l’obligation de dégager le chemin et son voisin a été condamné à lui verser 21.150 euros. L’affaire aura tout de même duré cinq ans.

Un commerce me complique la vie

Fin 2020, Clément Praud, élu de Saint-Ouen (93), a dû faire face à un bataillon d’habitants excédés. La raison de leur détresse ? L’implantation dans leur quartier d’une dark kitchen, une sorte de cuisine fantôme où Deliveroo centralise la préparation et la livraison de repas. « Pour les riverains, le ballet de scooters devenait insupportable, témoigne le conseiller municipal. On a parfois compté un passage bruyant toutes les dix secondes dans la rue. » Une nuisance à laquelle s’ajoute l’attroupement des livreurs en attente de commandes : « Ils discutent, écoutent de la musique et urinent parfois en pleine rue, faute de toilettes », reprend notre homme.

La mairie se tourne alors vers Deliveroo, mais l’entreprise n’étant pas l’employeur direct des livreurs, elle ne peut leur imposer de règles. Pas de quoi démonter l’élu, qui fait venir un agent municipal assermenté pour réaliser des relevés sonores et organise des réunions au sommet avec le restaurateur 2.0 pour trouver des solutions. « Proactif, Deliveroo a d’abord modifié son logiciel pour éviter les regroupements, relate Clément Praud. Puis il a placé deux vigiles devant la dark kitchen pour obliger les livreurs à venir à pied (sauf scooter électrique ou vélo). » Deux mesures qui ont contribué à améliorer la situation, même si des nuisances persistent.

« Globalement, si un bar fait trop de bruit, qu’un kebab dégage des odeurs de friture ou qu’un commerce entraîne des allées et venues gênantes, il faut se tourner vers la mairie, conseille maître Christophe Sanson. C’est elle qui est compétente en matière de tranquillité publique »

Le bruit m’empêche de dormir

C’est, de loin, la première cause de conflit entre voisins : le bruit. Et pourtant, confrontés au problème, nous adoptons rarement les bons réflexes. « Sortir excédé en pyjama pour tambouriner à une porte n’est jamais la solution », sourit Christophe Sanson. De multiples recours existent, il s’agit de les prendre dans l’ordre. Avant toute chose, discutez à froid avec votre voisin pour comprendre ses habitudes et lui faire part des désagréments que vous subissez. Si la situation n’évolue pas, envoyez-lui une lettre recommandée.

Attention, toutefois, à ne pas vous montrer agressif ou évoquer des litiges passés, cela pourrait être préjudiciable par la suite. « L’étape suivante consiste à faire appel au conciliateur, continue l’avocat. Il permet de régler 50% des conflits liés au bruit. » La grande majorité des cas restants se terminent au civil. Pour prouver que les nuisances subies sont anormales, faites venir un huissier qui constatera à l’oreille les bruits, de préférence à plusieurs reprises et à des heures différentes (comptez 200 à 250 euros par visite, malheureusement à vos frais). « Il est même préférable de mobiliser un expert judiciaire acousticien, ses relevés sont plus précis, mais c’est beaucoup plus coûteux, complète l’expert.

N’hésitez pas à solliciter d’autres personnes importunées, vous pouvez leur faire remplir un formulaire pour témoigner en votre sens. » Mais obtenir gain de cause n’a rien d’évident. Votre voisin vous réveille chaque nuit parce qu’il prend une douche en rentrant du travail à 3 heures du matin ? Il en a le droit…

On a squatté ma maison

Ce couple de Français expatriés en Pologne a vécu le cauchemar que tout propriétaire redoute. Fin 2020, alors qu’ils prévoyaient de rentrer dans l’Hexagone, les malheureux découvrent que leur toute nouvelle maison, achetée en région parisienne, est squattée. Ni une ni deux, ils portent plainte mais les policiers ne se déplacent pas. Le couple saisit alors un avocat… qui lui aussi a du mal à se faire entendre des forces de l’ordre. Autorisée depuis décembre 2020, une procédure, dite Asap, permet de faire expulser des squatteurs par le préfet sous un délai de quarante-huit heures.

« Mais pour l’initier, il faut être propriétaire, avoir porté plainte pour violation de domicile et qu’un officier soit venu constater l’infraction, détaille maître Romain Rossi-Landi. C’est sur ce dernier point qu’on a perdu du temps : j’ai eu un mal fou à convaincre les policiers que cette nouvelle loi s’appliquait également aux résidences secondaires ou inoccupées. » Finalement, en mai, constat réglementaire est fait que la serrure du portillon a été changée, la lettre recommandée est envoyée au préfet, les occupants sont délogés. Un conseil en cas de squat ?

Portez plainte immédiatement pour violation de domicile et invitez les policiers à consulter la circulaire interministérielle du 22 janvier 2021 s’ils méconnaissent la procédure Asap, il est vrai récente.

Mon voisin me gâche la vue

Voilà qui peut surprendre mais la jurisprudence est ainsi faite : nul ne dispose d’un droit acquis à une vue permanente totalement dégagée. Résultat ? Si, du jour au lendemain, un voisin gâche votre panorama, il vous est difficile de l’attaquer. Et ce, même si le prix de votre maison en pâtit. « Une simple gêne visuelle ne suffira pas à ouvrir le droit à une indemnisation pour perte de valeur du bien », afffirme Nejma Labidi, avocate. Heureusement, des solutions existent, comme peut en témoigner maître Romain Rossi-Landi. Fin 2019, un de ses clients, propriétaire d’un appartement au bord de la Méditerranée, s’est trouvé bien embêté : « L’arbre d’un voisin avait tellement poussé qu’il ne pouvait plus voir la mer depuis sa terrasse, raconte l’homme de loi. Je me suis plongé dans le règlement de son lotissement et, heureusement, il interdisait de laisser les arbres pousser trop haut. »

Plus généralement, consulter les règles de copropriété ou d’urbanisme local est un bon réflexe. « Moins la zone sera située dans un environnement urbain constructible, plus les requérants auront de chance de voir leur action aboutir », précise maître Labidi.

Une terrible odeur reste dans l’immeuble

Disons-le tout net, l’histoire est très singulière. Mais elle donne quelques clés pour gérer un voisin fragile. Tout commence fin 2018, dans un immeuble parisien. Alors que les habitants du sixième étage se plaignent d’une invasion de cafards, Georges Bouchelaghem, membre du conseil syndical, essaie d’identifier l’origine du problème. « Je suis allé frapper à toutes les portes, explique notre témoin. Une seule est restée close, mais impossible de savoir si l’appartement était occupé. » Les mois passent, les nuisibles reviennent et des odeurs nauséabondes se propagent. « J’ai encore toqué, sans succès, alors j’ai fait semblant de demander à des pompiers de défoncer la porte, reprend l’enquêteur. Là, quelqu’un a ouvert. » La surprise est de taille : Georges se retrouve face à un voisin bien connu… juché sur 1 mètre de détritus. Ce copropriétaire sans problème apparent est en fait atteint du syndrome de Diogène, un trouble psychiatrique rare qui l’empêche de jeter quoi que ce soit.

Même si les nuisances sont difficiles à supporter, impossible de réagir brutalement. Georges pare au plus urgent : avec beaucoup d’empathie, il arrive à convaincre son interlocuteur d’appliquer un produit anti-cafards. Pour le reste, il se tourne, avec raison, vers la mairie. « On l’ignore souvent, mais les services municipaux ont des équipes compétentes pour gérer ces situations, constate-t-il. Manque de chance, nous étions en plein confinement à ce moment-là, elles n’ont pas pu intervenir. »

Heureusement, la patience de notre homme a fini par payer : le malade s’est confié à sa famille, qui ignorait tout de son état. « Pendant une semaine, ses neveux sont venus avec des équipements spéciaux pour vider l’appartement, conclut-il. L’appartement a été refait à neuf. » Depuis, tout est rentré dans l’ordre.

« J’ai dû batailler pour réaliser les travaux que je souhaitais »

Clément Tissier, propriétaire d’un appartement à Paris.

En voilà un qui ne se sera pas laissé démonter. En avril 2019, Clément Tissier achète l’appartement parisien qu’il occupe avec sa compagne. Des travaux s’imposent. « Il fallait refaire la dalle et sabler les poutres », se souvient le récent propriétaire. Il prévient le voisinage, c’est le début des ennuis. Comme dans bien des immeubles, l’annonce du chantier met des membres du conseil syndical sur le pied de guerre. Visite de l’architecte de la copropriété, conseils aux airs d’injonction, mails de plainte répétés… Notre homme en vient à ne plus se sentir maître chez lui !

Jeune trentenaire, il aurait pu se laisser impressionner, mais non. Pragmatique, il choisit ses combats. Pour éviter de se fâcher avec ceux qui resteront longtemps ses voisins, il accepte de modifier sa méthode de sablage. Mais point de reculade pour autant. Il poursuit ses plans – « Je savais que je ne touchais pas aux parties communes, donc j’étais en règle », glisse-t-il – et sonne la fin de la partie : profitant d’une assemblée, il informe tous les copropriétaires, pas toujours au courant, de la souplesse dont il fait preuve depuis le début et prévient qu’il n’acceptera plus de frais supplémentaires. « Un conseil syndical n’a aucun pouvoir juridique, il ne peut rien vous imposer, assure l’avocat Christophe Sanson. Seul le syndic en a le pouvoir. »

Et l’expert de conseiller : « Tant que vous ne touchez pas aux parties communes, vous êtes libre. Mais épluchez bien le règlement de copropriété : votre porte d’entrée peut relever de ces parties communes, tout ce qu’il y a sous votre revêtement de sol aussi… »

« Un projet immobilier menace notre cadre de vie »

L’association Les Trois Tilleuls, à Vauréal (Val-d’Oise).

Ce petit groupe d’irréductibles a dû batailler pendant dix ans, mais leur ténacité a payé. En 2010, ces habitants de Vauréal (Val-d’Oise) découvrent que la mairie souhaite construire un lotissement près du bois avoisinant. Une bien mauvaise surprise pour eux. « Nous nous sommes installés dans ce quartier du village pour la faible urbanisation et le cadre forestier », argue un des frondeurs, Bruno Le Cunff. Un bras de fer s’engage. Rapidement, la petite équipe constitue une association, Les Trois Tilleuls, pour défendre cet espace.

La stratégie ? Faire reconnaître la lisière du bois comme une partie de cette forêt protégée. Pour la municipalité, le terrain, constructible selon le PLU, n’est qu’une zone arbustive : elle délivre donc un permis de construire sans réclamer d’autorisation de défrichement préalable. Et c’est ce qui finira par jouer en faveur de nos militants. En 2020, à force de recours, le tribunal administratif reconnaît les lieux comme une partie du bois, ce qui rend l’autorisation de défrichement obligatoire. Cette décision débouche alors, un an plus tard, sur l’annulation du permis de construire.

Morale de l’histoire, même quand l’affaire semble perdue, un élément peut suffire à renverser la situation ! Mais le combat n’est pas terminé, la mairie ayant déposé un recours devant le conseil d’Etat… « Nous avons un besoin urgent de logements, justifie-t-elle. Plus de 600 demandes sont en attente dans la commune. »

Par Gabriel Haurillon

Source : https://www.capital.fr/economie-politique/bruit-travaux-faites-appel-a-un-conciliateur-pour-regler-vos-problemes-de-voisinage-1432262